Surprenant spectacle que « Saga des peuples sans armure » ! Une mise en

scène et en lumière étonnante, portée par l’illusion, l’allusion et les questions

sans réponses. Des hommes en noir, les Kurugos du théâtre de marionnettes

japonais, tissent le lien magique entre passé et présent, monde réel et

onirique, visible et invisible, Histoire majeure et petits contes populaires. Le

choix du hiératisme nippon n’est en rien un hasard.

​

Du théâtre de figurines Bunraku aux figures figées des acteurs Kabuki, en

passant par le Hanimichi, le Pont aux fleurs ici dessiné en papier, qui

accentue les entrées en scène spectaculaires et suspend le temps, tout

concourt au propos. L’Orient, par ses tambours Taïkos, prête son rythme à

l’Occident pour imager une seule et même histoire : celle des peuples aux

cultures menacées.

​

Si l’Estonie est particulièrement présente dans cette Saga, à la fois dans le

choix des œuvres chorales (Tormis - grand compositeur complice de

Mikrokosmos, Pärt, Kreek), elle n’est que le reflet d’une attention portée à

toutes les fables, historiettes, drames intimes et guerres publiques de notre

humanité. Autant de scènes marquées de toiles peintes, étendards mouvants

du glacis coloré de la grande Histoire. La musique prend des couleurs, se fige

à mesure de ses acteurs-chanteurs, fuse en danses, en chansons de champs et

de rires, en émois ardents, en questionnements intimes. Avec toujours en

suspens, parfois explicite jusqu’à l’éclat, le grand malheur des hommes.

​

Loin de s’en tenir à l’art choral classique, tout en lui rendant un hommage

appuyé dans l’interprétation sans faille des œuvres présentées, Mikrokosmos,

comme à son habitude, innove. La langue française, omniprésente, rend

accessible à chacun ce spectacle hors norme. L’instrumentarium utilisé

(tambours japonais, cloches, accessoires et guitare électrique…) emprunte à

tous les genres, du plus traditionnel au « Métal » hurlant très contemporain.

Toutes les barrières tombent : musicales, dramaturgiques, scénographiques.

​

Rien n’est fait pour lier le spectateur. A chacun de s’y sentir libre de penser,

d’imaginer, de se la raconter…Et tant mieux si l’on s’y perd : le plaisir suffit.

Le bonheur est affaire de ressenti plus que de compréhension. « Saga des

peuples sans armure », en laissant à chaque spectateur tout l’espace pour ses

propres rêves et se refusant à faire de cette heure musicale un préfabriqué

ordinaire à clés balisées, fait le pari de notre libre arbitre. Quoi de mieux pour

s’ouvrir l’esprit, le cœur, et garder pour longtemps le sentiment d’une joie

profonde et partagée ?